7 avril 2014
L’expérimentation du déconditionnement des médicaments doit durer trois ans et portera dans un premier temps uniquement sur les antibiotiques. Le ministère de la Santé annonce la participation de 200 pharmacies volontaires, sur fond de grogne des syndicats professionnels qui appellent au « boycott ».
Vendre des médicaments à l’unité pour limiter le gaspillage quand ils ne sont pas consommés, la pollution lorsqu’ils sont jetés et l’automédication lorsqu’ils trainent dans les tiroirs ! Cette idée a été dévoilée dès septembre, lors de la présentation du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Marisol Touraine, la ministre de la Santé annonce clairement la couleur lorsqu’elle déclare fin octobre devant l’Assemblée nationale qu’ « un médicament sur deux n’est pas consommé ». Les députés qui savent que le déficit de la sécurité sociale dépasse les 13 milliards d’euros acquiescent. Toutefois, le bénéfice réel de cette mesure sur les finances de la sécurité sociale reste à démontrer.
Et le lancement de l’expérimentation, prévu au 1er avril 2014, prend du retard. L’union des Syndicats de Pharmaciens d’officine (USPO) vient d’appeler les pharmaciens à ne pas se porter volontaires, dénonçant le casse-tête des mentions à préciser sur l’étiquette de conditionnement ainsi que la rémunération « dérisoire » proposée aux pharmaciens. D’ailleurs, selon un récent sondage réalisé par la société Call Medi Call pour le Quotidien du Pharmacien*, deux pharmaciens sur trois seraient hostiles à la dispensation des médicaments à l’unité. C’est le cas de Véronique Nicolas, qui officie en Vendée : « Je n’y crois pas un seul instant, lâche-t-elle. Déjà, le prix des antibiotiques a considérablement baissé. De plus, c’est un traitement qui est déjà soumis à un conditionnement pour une durée spécifique. Et les sirops pour enfants ? Je serais curieuse de savoir comment on va les déconditionner. »
Modalités pratiques floues
Si la ministre de la Santé annonce que l’expérimentation sera « encadrée par des règles extrêmement strictes », Catherine Lemorton, président socialiste de la commission des Affaires sociales et elle-même pharmacienne, s’interroge sur les modalités pratiques. Elle n’est pas la seule. « Le déconditionnement ne pourra se faire qu’en pharmacie, estime Véronique Nicolas. Il faudra embaucher ou gagner du temps sur celui que l’on passe à faire du conseil au comptoir. » Bernard Equoi, pharmacien à Blois depuis 29 ans s’interroge aussi. « Si on prend le cas du Lexomil par exemple, les comprimés sont conditionnés dans des pots, pas en tablette. Comment allons nous faire ? Il faudra mettre des gants ? Et comment va ton gérer la notice ? » Charge de travail supplémentaire, problème d’hygiène, de traçabilité donc de sécurité, risque d’erreur… les freins ne manquent pas. D’autant que la loi stipule aujourd’hui que les officines ne peuvent déconditionner que la catégorie des stupéfiants. Il faudra donc modifier les textes législatifs, estime Véronique Nicolas.
Manque de cohérence
La pharmacienne évoque aussi un manque de cohérence de la part des pouvoirs publics. « Aujourd’hui, dans le cas de traitements chroniques, les Caisses nous incitent à délivrer les prescriptions pour 3 mois, donc une seule boite de 90 pilules au lieu de trois petites boites de 28 ou 30. Cela revient moins cher mais ça baisse aussi nos marges puisque nous délivrons une boite au lieu de trois. » Pour Bernard Equoi, il faut « arrêter de faire des économies sur les médicaments. Les génériques, les baisses de prix… aujourd’hui, les jeunes pharmaciens ne s’en sortent pas. » Selon l’Ordre national des pharmaciens, en 2012, 103 officines ont fermé définitivement leurs portes en France. Et sur les 5 dernières années, 500 d’entre elles ont disparu.
*Enquête réalisée du 3 au 19 mars auprès de 1066 titulaires d’officine (source Le Quotidien du Pharmacien)
Les Français approuvent mais s’interrogent !
Un sondage Ifop, réalisé pour le groupe de pharmaciens PHR (qui représente 11% des pharmaciens), les Français approuvent le projet de vente de médicaments à l’unité. Ils sont 81% à estimer que cette mesure va contribuer à de réelles économies puisque les pharmacies ne délivreront que la quantité de médicaments nécessaires au traitement prescrit. Toutefois, 66% des sondés s’interrogent sur les risques d’erreur, la traçabilité ou les problèmes d’hygiène.